hédo gabor
La Crise
Jean-Pierre
GRABER
Conférence donnée lors des Rencontres de Lavigny
(Suisse) le 18 janvier 1997
Dans
le cadre de cette conférence, il n'est certes ni possible ni opportun
d'analyser les causes de la crise actuelle d'une manière un tant soit peu
exhaustive. Je me bornerai à dire qu'à mes yeux trois facteurs fondamentaux se joignent pour modeler et changer en
profondeur nos sociétés: la logique économique, les avancées technologiques et
les mentalités collectives.
Dennis Gabor
a saisi cette dérive en énonçant sa première loi de la technologie: "tout
ce qui peut être fait le sera". En réfléchissant à cette problématique,
Roger Garaudy a écrit avec
pertinence: "Tout ce qui est techniquement possible
est nécessaire et souhaitable". C'est en ce sens que science et
technologie peuvent devenir oppressantes pour l'homme. Le génie génétique présente pour le moins
autant de virtualités négatives que d'aspects positifs pour l'humanité. La
vente de sang contaminé et l'affouragement des bovins par des farines animales,
contre les lois élémentaires de la nature et du bon sens, laissent mal augurer
d'une utilisation sage du progrès scientifique.
Les mentalités collectives constituent
vraisemblablement le déterminant le
plus important du déclenchement, du degré de gravité et de la nature des crises.
Les mentalités collectives de ce temps me semblent présenter les
caractéristiques essentielles que voici:
-Un agnosticisme multiforme
largement répandu, selon lequel Dieu, s'il existe, n'est en aucun cas le Dieu
de l'Histoire révélé par l'Ancien et le Nouveau Testament, mais bien plutôt le
Grand Psychologue qui nous comprend du haut de sa distante bienveillance.
-La conviction qu'il n'y a pas de
vérité absolue dans l'ordre spirituel, religieux, éthique et social,
mais bien plutôt des vérités partielles, contingentes et provisoires, issues de
la culture d'une époque. C'est le relativisme.
-La volonté de s'abstraire de la
condition humaine et de nier la nature humaine. Le dessein de
s'abstraire de la condition humaine explique les tentatives de l'humanité de
réaliser l'utopie d'un paradis terrestre dont seraient bannies la souffrance,
les maladies, la peine du travail, les contradictions et limitations humaines,
voire même la mort. Nier la nature humaine, c'est, entre autres, refuser de
voir que l'origine du mal est en l'homme et non pas d'abord dans la société.
-La quête d'une spiritualité
irrationnelle et irréelle qui se manifeste par le goût pour les
religions orientales, le surnaturel sous toutes ses formes, les tarots, les
horoscopes et autres pourvoyeurs de tranquillité psychique éphémère.
-La croyance que les êtres humains ne
sont pas véritablement responsables de leurs comportements
pathologiques, ces derniers étant imputables à l'environnement socio-culturel.
Cette croyance détermine grandement l'attitude de nos tribunaux et de nos
systèmes d'éducation.
-L'individualisme égoïste, avec
ses corollaires logiques que sont l'indifférence à son prochain, l'absence de
solidarité active et la régression de l'esprit de sacrifice.
-Le profond désir du plus grand nombre que l'Etat n'interdise plus, mais qu'il se borne à réparer les effets
négatifs de nos comportements pathologiques.
-La consommation de sensations
physiques et psychiques érigées en but ultime de la vie et en valeur absolue de
la société.
-Le matérialisme pragmatique et
les résultats à court terme reconnus comme critères premiers des décisions
humaines. C'est le règne de l'utilitarisme.
-Le mépris, voire la haine d'une
différence qui interpelle et brise des certitudes faciles, confortables
et anesthésiantes.
-En dépit d'un certain retour à la nature et aux mythes passéistes de l'âge
d'or, la croyance majoritaire que la
science et la technique constituent les principaux instruments de la
résolution de presque tous les fléaux qui assaillent l'humanité.
Répétons-le. Les mentalités collectives, les avancées
technologiques et la logique économique constituent l'origine principale de la
crise généralisée d'aujourd'hui .