hédo marcheur
Christophe Massé
présente
adensI
je suis
le vendredi 29 janvier 2011
de 10 à 21heures
Sous La Tente: 28 rue
Bouquière 33000 Bordeaux (France)
Denis Thomas
: Surfaces Urbaines.
Vivre dans
une ville. Traverser un espace et rendre compte visuellement de son
expérience avec le lieu, tel est la volonté de Denis Thomas. Il réalise ses
premières images en 2005 et prend conscience de ce qui l’entoure et des motifs
qu’il va photographier de manière systématique. Il procède à ce qu’il appelle
lui-même un travail relevant « plus d’une obsession qu’un désir d’inventaire ».
Denis Thomas photographie de manière boulimique les rues, les passages et les
passants pour peut-être aller à sa propre rencontre.
Dans cette
perspective, il a choisi de fixer son œil et son objectif sur Bordeaux, qu’il
parcourt de fond en combles pour y faire surgir sa vision de la ville. Ses images
présentent un monde urbain comme suspendu dans le temps, déshumanisé. Si la
figure humaine est présente, elle n’est que fantomatique, mécanique ou trop
pressée. Denis Thomas s’attache aux détails d’un environnement quotidien, un
vélo, un trottoir ou une fenêtre. Les petits riens que nous ne prenons pas
suffisamment le temps d’observer dans nos élans toujours trop rapides.
Bulle choix voir savoir répétition contemplation soulagement chose
renouvellement découverte exploration repos mémorisation partage machinité
pensée prétention domestication accumulation monde matérialisation illusion
magie image pudeur admiration. (D. Thomas, 20 mai
2010).
Denis Thomas
a ressenti le besoin de parcourir la ville et d’en fournir une image aux
facettes multiples. Il ne se définit pas comme un véritable photographe mais
comme un individu exprimant son point de vue sur ce qui l’entoure. Son travail
possède un caractère instinctif, qui s’inscrit dans celui des artistes
marcheurs. Marcher dans les rues et attendre de la ville qu’elle nous livre ses
secrets et son intimité. Denis Thomas fait l’éloge du banal. Sur ses pas nous
rencontrons un mobilier urbain désincarné, invisible et pourtant ancré dans nos
paysages quotidiens.
Des hommes
au travail, réduits à des uniformes et des postures mécaniques. Des chantiers
de démolition et de construction que l’objectif de Denis Thomas a fixé dans le
temps. Les portes et les devantures des magasins sont fermées, les maisons sont
abandonnées, abîmées, les rues sont vides. Ses images urbaines de matériaux, de
couleurs et de textures hétéroclites nous rappellent parfois les compositions
de peintures abstraites. Il s’amuse avec la géométrie des éléments et des
textures matérielles que lui offre la ville. Murs, dallages, carrelages, bitume,
faïences, mosaïques, ciment, peintures et ferrailles semblent fusionner dans un
univers désertique où l’homme paraît avoir soudainement quitté les lieux. Le
photographe accentue un « systématisme » avec la récurrence des motifs :
carrelages, mauvaises herbes, sols, pas de ports vidés, frontalités, objets
inanimés, orthogonalité, etc.
Il dit
d’ailleurs : « L’homme a besoin des systèmes, qu’il crée, comme il a besoin de
les détruire. Disons que le reste est de l’ordre du hasard. » S’il entre dans
les halls et les couloirs des bâtiments rencontrés lors de ses balades, Denis
Thomas rend compte de la fuite humaine. Les lieux sont vides et se dégradent
progressivement. Certains sont en cours de destruction, ils sont figés et les
matériaux brisés nous apparaissent comme des blessures profondes.
En tant
qu’architecte d’intérieur de formation, Denis Thomas, exprime une nécessité
personnelle de faire le constat désarmant, du gâchis et de l’abandon de lieux
livrés à eux-mêmes. Pourtant, de temps à autre jaillit une lueur d’espoir avec
l’apparition, quasi miraculeuse, d’un oiseau ou d’une plante qui tente de se
faire une place sur le bitume aride. Ces « mauvaises herbes » qui survivent sur
nos trottoirs et que nous ignorons consciemment. Denis Thomas nous amène à
ouvrir véritablement les yeux sur notre environnement quotidien, sur ces petits
riens qui sont en fait des signes de vie dans ses photographies.
Tout ce qui
se trouve dans mon champ de vision est bon à voir. Toutes les lumières sont
belles à raconter. Ce qui importe à mes yeux, c’est l’instant, guidé par le
désir de voir. Puis, s’opère le cadrage, le donner à voir, afin d’immortaliser.
(D. Thomas,
29 oct. 2010).
Depuis plus
d’une dizaine d’années, il partage une relation duelle avec Bordeaux. Une ville
qui lui a d’abord paru « austère, bourgeoise, refermée », qu’il a appris à apprivoiser
au fil du temps. Dans ce dessein, Denis Thomas a décidé d’arpenter la ville
pour produire une image de ce rapport à la fois conflictuel et tendre avec sa
ville d’adoption. Il fabrique ainsi une mémoire instantanée des lieux qu’il
traverse. « La photographie a ceci de magique, dans l’instant, elle peut aller
aussi vite que la pensée humaine. » À travers son œil, nous assistons à une
lente métamorphose urbaine, entre constructions et destructions. Denis Thomas
partage par le biais de ses images, non seulement des morceaux de l’histoire
des rues et des bâtiments (anciens comme contemporains) Bordeaux, mais aussi
son histoire personnelle avec la ville. Une histoire révélant un rapport quasi
intime avec chaque recoin et détails d’une ville fourmillante de joyaux de
l’insignifiant qu’il nous fait découvrir. Son œil qui pour l’instant est
concentré sur Bordeaux, nous promet de nouvelles images au fil des autres
villes, des autres territoires qu’il rencontrera à l’avenir.
Julie Crenn,
octobre 2010.