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Hédo
22 janvier 2011

hédo manuel

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Image JF Muller

Karl Kraus nous offre une sorte de manuel du parfait combattant contre la domination symbolique. Il a été un des premiers à comprendre en pratique la forme de violence symbolique qui s’exerce sur les esprits en manipulant les structures cognitives. Il est aussi l’inventeur d’une technique d’intervention sociologique. À la différence de tel pseudo-artiste qui prétend faire de l’« art sociologique », alors qu’il n’est ni artiste ni sociologue, Kraus est un « artiste sociologique », au sens où ses actes sont des interventions sociologiques, c’est-à-dire des « actions expérimentales » visant à amener des propriétés ou des tendances cachées du champ intellectuel à se révéler, à se dévoiler, à se démasquer. C’est là aussi l’effet de certaines conjonctures historiques, qui conduisent certains personnages à trahir au grand jour ce que leurs actes et surtout leurs écrits antérieurs ne dévoilaient que sous une forme hautement voilée – je pense par exemple à Heidegger et son discours de rectorat. Kraus veut faire tomber les masques sans attendre le secours des événements historiques. Pour cela, il a recours à la « provocation », qui pousse à la faute ou au crime. La vertu de la provocation est qu’elle donne la possibilité d’« anticiper », en rendant immédiatement visible ce que seules l’intuition ou la connaissance permettent de pressentir : le fait que les soumissions et les conformismes ordinaires des situations ordinaires annoncent les soumissions extraordinaires des situations extraordinaires.

2Je pense par exemple aux fausses pétitions, véritables happenings sociologiques qui permettent de vérifier des lois sociologiques. Kraus a fabriqué une fausse pétition pacifiste, sur laquelle il apposa des signatures de gens sympathiques, réellement pacifistes, et des signatures d’anciens militaristes récemment convertis au pacifisme. (Imaginez un peu ce que ça pourrait donner aujourd’hui avec des révolutionnaires de Mai 68 convertis au néolibéralisme.) Seuls les pacifistes protestent contre l’utilisation de leur nom tandis que les autres ne disent rien parce que, évidemment, ça leur permet de faire rétrospectivement ce qu’ils n’ont pas fait quand ils auraient dû le faire. C’est de la sociologie expérimentale !

3Kraus dégage un certain nombre de propositions sociologiques qui sont en même temps des propositions morales. (Et je récuse ici l’alternative du descriptif et du prescriptif.) Il a horreur des bonnes causes et de ceux qui en tirent profit : c’est un signe, à mon avis, de santé morale d’être furieux contre ceux qui signent des pétitions symboliquement rentables. Kraus dénonce ce que la tradition appelle le pharisaïsme. Par exemple le révolutionarisme des littérateurs opportunistes dont il montre qu’il n’est que l’équivalent du patriotisme et de l’exaltation du sentiment national d’une autre époque. […]

4Si nous nous retrouvons évidemment dans Kraus, c’est qu’en grande partie les mêmes causes produisent les mêmes effets. Et que les phénomènes observés par Kraus ont leur équivalent aujourd’hui.

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Pierre Bourdieu, « Karl Kraus selon Pierre Bourdieu », revue Agone, 35-36 | 2006, [En ligne], mis en ligne le 15 septembre 2008. URL : http://revueagone.revues.org/519. Consulté le 21 janvier 2011.















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