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Hédo
12 décembre 2006

Des productions de l’esprit dans les différents âges.

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Réception de M. de   Saint-Lambert

 

DISCOURS PRONONCÉ DANS LA SÉANCE PUBLIQUE
  LE 23 JUIN 1770

 

PARIS LE LOUVRE

 

 

 

     M. de   Saint-Lambert, ayant été élu par l’Académie française à la place laissée   vacante par la mort de M. l’abbé Trublet, y est venu prendre séance le 23   juin 1770, et a prononcé le discours qui suit :

 

 Des productions de l’esprit dans les différents âges. 

 

     messieurs,

 

     Les   hommes dont les ouvrages honorent

la Nation

, enlèvent vos suffrages ; mais vous   les accordez quelquefois à ceux qui savent sentir et admirer les vrais talents ;   vous leur savez gré du choix de leurs études, et vous leur pardonnez de ne   pas étendre la carrière des arts, lorsqu’ils y suivent la route de nos grands   maîtres. Vous recevez aujourd’hui leur disciple et le vôtre ; mais un   titre qui m’est plus cher a réuni pour moi vos suffrages ; c’est   l’amitié qui me lie à plusieurs d’entre vous, et ce titre méritait d’être   compté.

 

     Les   hommes célèbres seraient à plaindre, s’ils n’étaient consolés par l’amitié,   des critiques qui les calomnient, et des louanges qui les rabaissent. L’ami   qui s’associe à leurs peines, qui leur fait prévoir et sentir la gloire, qui   les excite à faire de nouveaux présens au siècle qu’ils enrichissent, peut   mériter de partager leurs honneurs.

 

     M. l’abbé   Trublet fut digne par ses ouvrages d’être admis dans une société composée   d’hommes illustres ; mais en l’honorant de votre choix, vous   récompensiez en lui l’homme de mérite et l’ami de M. de Fontenelle. Avec   un esprit fin, pénétrant, exact, M. l’abbé Trublet observait le   caractère, l’esprit, le goût, le ton de son siècle : Ce talent rare est   nécessaire pour avancer la philosophie des mœurs ; il faut des faits,   des observations à la morale, comme à l’étude de la nature. C’est d’après les   expériences qu’on connaît l’homme et l’univers.

 

     M. l’abbé   Trublet a enrichi le public de ses excellentes observations ; il savait   encore choisir et recueillir les observations des hommes célèbres avec   lesquels il a vécu. Ce travail était ennobli par son objet ; l’auteur   voulait être utile.

 

     Ce   but si noble est longtemps ignoré des hommes qui cultivent les lettres,   lorsqu’elles renaissent chez des peuples barbares qui ont perdu l’énergie et   la simplicité sensée des nations sauvages. Chez ces derniers, la poésie et   l’éloquence peuvent avoir de la force et de grands objets. Ces hommes, qui ne   connaissent encore ni les règles ni les lois, sont inspirés par l’admiration,   par la passion noble de graver dans les cœurs l’image des belles actions, les   vérités utiles. Les chants des Bardes, des premiers Grecs et des Scandinaves,   ne sont que l’expression de la nature ; mais les chants, les discours de   ces hommes indépendants, qui ne parlaient qu’à leurs égaux, sont souvent   sublimes.

 

     Chez   des peuples barbares, c’est-à-dire, qui obéissent à de mauvaises lois, les   hommes sont partagés en deux classes, celle des esclaves et celle des   tyrans ; les uns sont abrutis sous le poids de leurs fers, et les autres   sont endurcis par l’habitude d’opprimer. Ceux-là manquent de l’énergie qui   donne de la force aux ouvrages, et ceux-ci du sentiment qui en fait le   charme. Les uns ne sont pas dignes de chercher, et les autres d’entendre la   vérité.

 

     S’il   naît chez ce peuple un homme de génie, le désir d’être utile n’élève pas son   cœur, l’espérance de la gloire n’étend pas ses vues, elles sont bornées comme   ses desseins. Il remplace les vraies beautés par des ornements de fantaisie,   parce qu’il ignore la belle nature, qui n’est sentie ni des esclaves ni des   tyrans.

 

     Lorsque   les sauvages du Nord laissèrent respirer l’Europe dévastée, et que le   gouvernement féodal fut établi sur les ruines de la liberté et des arts, les   Seigneurs, dans leurs cours pauvres et barbares, connurent l’ennui et le   besoin d’être flattés ; les tournois et les jeux ne remplissaient pas le   vide de leur jours. On eut des romans pleins d’un merveilleux absurde, des   histoires dictées par l’envie de tromper et par la passion d’étonner ;   on eut des vers sans âme, sans harmonie, sans idée ; la licence et la   superstition régnaient ensemble dans les mêmes ouvrages ; la galanterie   y répandait ses formes, ses petites pensées et ses exagérations. Les   belles-lettres s’appelaient alors la science gaie, non qu’elles inspirassent   la gaieté, mais parce qu’elles avoient le mérite de ne pas instruire :   tous les auteurs avoient le même style et la même manière. Lorsque François 1er   fit briller l’aurore du goût, la lecture des anciens et l’exemple de l’Italie   n’apprirent pas aux françois à traiter les sujets nobles. Saint-Gelais et   Marot chantaient du même ton les plaisirs et les héros ; le seul   françois qui osa penser n’osait instruire, et prit pour plaire le masque d’un   bouffon.

 

     Lorsque   Catherine de Médicis apporta en France l’amour des lettres et la   considération pour ceux qui les cultivent, elle n’y put inspirer ces   sentiments, et sans doute elle les perdit elle-même. Les Jodelles, les   Hardis, les Garnier, ne pouvaient plaire à une Princesse accoutumée aux Muses   de Florence. Les uns fardaient grossièrement la nature ; d’autres   copiaient servilement. L’indécence et les mauvaises mœurs avilissaient ces   productions sans génie. Montagne qui, pour ainsi dire, avait été élevé dans   l’ancienne Rome et dans Athènes, Montagne qui, par son éducation était   étranger à sa nation et à son siècle, fut le premier françois qui mit de la   raison dans ses ouvrages. Balzac et Voiture, qui le suivaient, n’eurent pas   comme lui le don de penser. L’un étonna par des idées gigantesques revêtues   d’un style emphatique ; l’autre par l’abondance de ses plaisanteries,   auxquelles il manquait de la noblesse et de la gaîté.

 

     Le   grand homme qui devant

la    Rochelle

domptait le fanatisme de ses ennemis, l’indocilité   de son armée, et les mers ; ce Ministre qui appelait à la liberté   l’Empire et l’Italie, qui divisait l’Angleterre, soutenait

la Hollande

, conduisait   Gustave, et faisait succéder en France l’ordre de

la Monarchie

à   l’Aristocratie tumultueuse des Grands ; Richelieu sentit le bien que les   lettres pouvaient faire. Environné de factions et de troubles, il pensa que   les plaisirs de l’esprit pouvaient occuper les loisirs d’une noblesse   guerrière, l’éclairer sur ses vrais intérêts, l’attacher à ses devoirs, la   rendre docile.

 

     Il   vous institua, Messieurs, pour hâter les progrès du goût, parce que les   lettres ne sont utiles que lorsque le goût est perfectionné. Alors, par le   choix des sujets et par la manière dont ils sont traités, les ouvrages du   génie dirigent l’opinion et influent sur les mœurs.

 

     Quelle   lumière ne répandit pas sur la littérature une société d’hommes savants,   éclairés l’un par l’autre, qui discutaient entre eux le mérite des différents   genres, et les beautés qui leur sont propres, la méthode qu’il faut dans les   ouvrages de raisonnement, et l’ordre qui convient aux ouvrages   d’imagination ; qui examinaient quels sont les sujets les plus heureux,   et ceux qui demandent plus de talents ; quels caractères intéressent,   quels sont ceux qui ne font qu’étonner ; comment ils contrastent sans   affectation ; quelle sorte de merveilleux plaît aux hommes   raisonnables ; quels tours sont admis dans un genre et rejetés d’un   autre ? N’est-ce pas à ces conversations que

la France

dut en partie ce   bon goût, que les étrangers les plus jaloux de notre gloire reconnaissent   dans la nation et admirent dans notre littérature ?

 

     Répandre   le bon goût, Messieurs, c’est apprendre à l’homme à sentir sa perfection et à   l’augmenter ; c’est lui apprendre à jouir des plaisirs qui élèvent   l’âme, et à dédaigner ceux qui l’abaissent. Eh ! combien la perfection   du goût ne demande-t-elle par la connaissance de l’homme, de ses passions,   des causes de ses plaisirs ! Combien le bon goût ne tient-il pas à   l’amour de l’ordre et au sentiment délicat de la décence ? Former le   goût, c’est éclairer l’esprit, c’est épurer les mœurs, c’est disposer les   nations à se pénétrer des sentiments vertueux répandus dans les ouvrages de   génie. Les lumières de l’Académie et les premiers essais de Corneille   préparoient aux grandes beautés de Corneille même, et aux chef-d’œuvres de   son rival.

La France

  fut digne d’applaudir Andromaque et Cinna, et de jouir des plaisirs élégants   et nobles qu’on lui donnait dans tous les genres. Fénélon inspirait aux   maîtres du monde la simplicité des mœurs, l’humanité et la justice. Despréaux   et

la Bruyère

  rendaient ridicules le mauvais goût et les travers de tous les temps.   Molière, avec plus de force et de philosophie, poursuivoit les vices et les   défauts que ne punissent point les lois.

La Fontaine

, poète dont la   lecture commence l’éducation, charme l’âge raisonnable, et amuse la   vieillesse,

La Fontaine

,   dont ses fables, ornait des grâces les plus aimables, la vertu et le bon   sens. Dan des genres moins austères, on vit une réserve, des bienséances, une   délicatesse que les étrangers ignorent, que les anciens n’ont pas connue, et   qui prouve le respect pour les mœurs dans les moments même de l’égarement.

 

     Tel   a été, Messieurs, le caractère des lettres dans leur second âge. Elles ont   dirigé, adouci, ennobli les mœurs sous le règne d’un Roi digne de donner son   nom au plus beau des siècles, parce qu’il a su faire usage des talents si   communs dans ce siècle, parce qu’il est plusieurs de ces talens qu’il a fait   naître, parce qu’il a aimé les lettres avec discernement ; parce qu’il a   aimé l’ordre, la décence, la gloire de la nation et la sienne, et que si ses   courtisans l’ont quelquefois égaré, ils n’ont jamais pu le corrompre.

 

     Tant   de chef-d’œuvres où les lecteurs trouvaient des plaisirs et des instructions   salutaires, ce charme invincible attaché à tout ce qui porte le caractère du   génie et du goût, occupaient la nation des ouvrages des grands hommes :   leurs pensées, fortes et profondes, forçaient les lecteurs à penser. Les   succès des Poètes et des Orateurs, en donnant le désir de les suivre, ôtoient   l’espérance de les atteindre. On cherchait par quelle suite de réflexions ou   par quel don de la nature ils étaient parvenus au sublime. Ces recherches   étaient une source de raisonnement et de découvertes. Les lettres prenaient   insensiblement un nouveau caractère ; elles avoient un nouveau genre   d’utilité. Le talent de discuter l’homme et de le régler, vint se placer à   côté du talent de l’inspirer et de le peindre : c’est ainsi, Messieurs,   que commençait le troisième âge des lettres et le siècle de la philosophie.

 

     Quels   services ne lui a pas rendus une société qui s’occupe du soin de   perfectionner la langue ? Entrez sous le portique célèbre de   Zénon ; parcourez les allées sombres du Lycée, et voyez une foule   d’hommes de génie divisés par les mots seuls, défendre l’un contre l’autre   les mêmes opinions ; voyez-les donner des mots pour des pensées, et   couvrir sous l’obscurité du langage la partie faible d’un système.   Hélas ! ce même abus des mots introduit des sens contraires dans les   traités, dans les dogmes religieux et dans les lois : la discorde, les cris   de la dispute et les charlatans, éloignent de la terre la paix et la vérité   jusqu’à ce moment où les hommes s’imposent d’attacher un sens fixe aux signes   de leurs idées. Votre Dictionnaire, qui est un recueil de définitions, devait   faire disparaître les notions confuses et indéterminées, les querelles   ridicules et sanglantes, le tumulte de l’école, la vaine subtilité, les   sophismes, la fausse éloquence.

La    France

lui doit en partie cette clarté, et cette précision   qui règnent dans les ouvrages de ses philosophes.

 

     Secondée   par vous, Messieurs, la raison a fait des progrès qui l’étonnent elle-même.   Vous avez fait naître une métaphysique plus simple, et, pour ainsi dire,   expérimentale, qui succède aux idées vagues des anciens. Nous avions sur   l’entendement humain des mots et des systèmes, et l’un de vous nous en a   donné l’analyse.

 

     Elle   doit servi de base à une morale plus lumineuse qui, à son tour, répandra des   lumières sur l’art de conduire les hommes, et sur les principes des   beaux-arts.

 

     Vous   avez vu dans un discours que Bacon eût admiré, l’origine des Sciences, la   chaîne qui les lie, le caractère de chacune d’elles, les avantages qu’elle   procure, le génie qu’elle demande.

 

     Vous   avez aimé ce guide du genre humain, ce législateur des hommes, cité aujourd’hui   dans les assemblées des peuples libres, et dans les conseils des Rois, et de   qui les uns et les autres peuvent apprendre leurs droits et leurs devoirs.

 

     Vous   admirez, vous aimez le plus grand Poète de ce siècle. Il doit votre hommage   et celui des Nations à l’harmonie et à l’éloquence de ses vers, mais plus   encore à sa philosophie et au talent divin d’inspirer cette humanité qui, à   mesure que les hommes s’éclairent, devient la première des vertus.

 

     C’est   dans ce siècle, Messieurs, qu’une critique savante s’est unie à la science   des faits. Lorsqu’à la renaissance des lettres on remua les décombres de   l’antiquité, chaque morceau des ruines parut un monument : l’erreur   appuya l’erreur, et les faits altérés étayèrent de fausses opinions. Mais si,   dans l’enfance des hommes et des Nations, les opinions et les faits sont   reçus avec crédulité, il est pour les Nations et pour les hommes un âge mûr   où le vrai seul est admis.

 

     Cet   esprit de critique, ces nouvelles lumières, ont changé l’histoire. Si elle ne   doit pas être un recueil de dates, de noms, d’intrigues, de combats peu   importants, de portraits imaginaires, elle vient de naître. On doit à   plusieurs d’entre vous des histoires particulières et générales, où ce qui   intéresse les hommes n’est plus oublié. On peut y connaître les climats, les   productions, l’industrie, les institutions civiles et religieuses, les arts   et les mœurs des Nations. Les historiens ne sont plus des témoins prévenus,   ils sont des juges, et l’histoire, qui n’était que l’école des ambitieux,   devient celle des hommes d’état.

 

     Ces   ouvrages du premier ordre, écrits avec les charmes du style, ont augmenté   dans la nation l’amour des connaissances : déjà instruite, elle a   cherché à s’instruire encore, le commerce, les finances, l’industrie   intérieure, la guerre, la jurisprudence, toutes les sciences qui influent   immédiatement sur nos destinées, ont fait des pas vers la perfection.

La France

aujourd’hui   commerçante et cultivatrice, riche et savante, polie et guerrière, est digne   de seconder les intentions de son Roi. Nous avons vu ce Prince forcé à   prendre les armes, par l’un de ces enchaînements de circonstances qui   entraînent les Rois les plus sages ; nous l’avons vu dans les succès   signaler sa modération, et, après des revers qu’il n’avait pas dût prévoir,   nous donner une paix heureuse. Nous le voyons aujourd’hui ranimer   l’agriculture, encourager le commerce, protéger, soutenir, augmenter les   établissements en faveur des sciences. Tantôt un ordre de ce Prince envoie au   pôle et sous l’équateur mesurer la terre et déterminer sa figure ;   tantôt il fait instruire les agriculteurs dans l’art de guérir ces animaux   que l’homme associe à son travail, et les seuls esclaves que lui ait permis   la nature. Auprès de l’asile où les défenseurs de la patrie jouissent du   repos, sont formés les guerriers qui espèrent la défendre. De nouvelles   écoles, où de jeunes dessinateurs essaient leurs crayons, s’ouvrent à côté   des Académies qui enseignent l’art de fertiliser la terre ; et cependant   la valeur impatiente des françois est soumise à cette discipline exacte et   sévère, sans laquelle aujourd’hui les héros ne peuvent plus être vainqueurs.

 

     Voilà,   Messieurs, comment les Rois méritent la gloire ; et c’est la philosophie   qui en donne aux hommes une juste idée. Chez des peuples barbares encore, la   gloire est accordée à ce qui n’est que difficile ou extraordinaire ;   chez des peuples instruits, elle s’obtient par des actions, des lois, ou des   ouvrages utiles. Elle est chez les premiers l’expression de l’étonnement   universel ; elle est chez les seconds le cri de la reconnaissance.

 

     C’est-là,   Messieurs, la gloire dont vous inspirez l’amour, vous en faites jouir ceux   qui célèbrent dignement les Rois sages, les ministres citoyens, les héros qui   ont défendu la patrie, les philosophes qui l’ont éclairée, les poètes qui, en   l’instruisant, en ont fait les délices. Vous avez fixé les premiers regards   de la jeunesse sur le caractère des grands hommes. C’est en les chantant que   le génie naissant essaye de plaire. Avec quels applaudissements n’avez-vous   pas vu se placer parmi vous un homme digne, par ses mœurs et son éloquence,   d’être le panégyriste des grands talens et des vertus ?

 

     Quelle   émulation cette institution sublime ne doit-elle pas exciter ? Quels   efforts ne doivent pas faire les citoyens, pour mériter de la patrie une   reconnoissance que vous rendez éternelle ? Vous voulez donc que d’âge en   âge la nation parle avec transport de ses bienfaiteurs ? Rois,   Ministres, Citoyens puissans, soyez justes, humains, fidèles à vos devoirs,   dévoué à l’état ; et nos derniers neveux, dans la postérité la plus   reculée, verseront des larmes d’admiration et d’amour, en se rappelant le   souvenir de vos vertus.

 

     Oui,   Messieurs, chercher, découvrir, inspirer des vérités utiles ; montrer   l’ordre dans sa beauté, la gloire dans sa splendeur ; faire aimer le   Prince, le travail et les lois : voilà les objets que vous vous   proposez, et voilà ce qui a mérité à la littérature françoise l’estime de   l’Europe entière. C’est la contrée où les Pythagores voyagent pour   s’instruire ; c’est ici l’Athènes où veulent être loués les Alexandres.   Les Souverains amis des hommes, les jeunes Princes qui se disposent à les   imiter, les Ministres qui veulent le bien, les Grands, les Magistrats qui   méritent l’estime universelle : voilà les hommes qui vous aiment.

 

     Ceux   qui peuvent craindre que vous ne déchiriez le voile qui couvre les abus   auxquels ils doivent leur existence ; les oiseaux de nuit qui veulent   poursuivre leur proie dans les ténébres ; l’envie décorée et   puissante ; la vanité s’indignant que des titres soient éclipsés par la   gloire ; des grands qui craignent d’entendre la voix de la   postérité ; des littérateurs obscurs qui veulent profaner le temple où   l’on ne reçoit point leurs hommages ; des esprits secs, incapables de   sentir les charmes que l’harmonie et les graces prêtent à la vérité ;   des hommes qui semblent se dévouer à la haine du vrai et du beau ; tous   ceux enfin qui par état, par caractère, ou par les circonstances, sont les   ennemis du genre humain : voilà vos ennemis !

 

     Ils   vous supposent des vues et des idées que condamnent votre conduite et vos   ouvrages ; ils vous attribuent je ne sais quel système chimérique   d’égalité, et l’amour d’une indépendance absurde qui ne s’allie pas même avec   l’amour de la liberté. Ils chargent le corps entier de la littérature de la   licence de quelques littérateurs ; ils attachent le nom des hommes   célèbres à des productions indignes du talent. Les uns voudroient borner les   lettres aux genres les plus frivoles ; d’autres voudroient les faire   regarder comme un vain luxe ; tous affectent de confondre le chant des   muses et celui des syrènes.

 

     Mais   l’auguste maison qui a fait, en faveur des lettres, tant d’établissements   dont l’Europe lui rend grâces, protégera dans leurs progrès ces lettres que   sa protection a fait naître ; et c’est ainsi que nos Rois ajouteront au   titre de pères de leur sujets, celui de bienfaiteurs du genre humain.

 

     Ce   jeune Prince dont l’auguste mariage promet à

la France

et au monde une   paix durable ; ce Prince, l’espérance de l’Europe, qui a reçu de la   nature l’amour de l’ordre et la bonté, apprit de son sage instituteur qu’il   n’est pas une seule vérité dangereuse ni pour les peuples, ni pour les Rois.   Ce prélat, si respectable par sa piété et par ses lumières, apprit à son   élève que l’ignorance seule est favorable aux erreurs et aux abus funestes   aux empires ; et que depuis les progrès universels de l’industrie,   depuis les révolutions arrivées dans les arts, dans les opinions, dans la   science de conduire les hommes, les lumières de tous les genres ajoutent aux   états une force véritable. Protégés par leurs souverains, rassemblés sous   leurs auspices, les hommes de lettres feront des efforts nouveaux pour   perpétuer les connaissances et pour en augmenter le trésor. Si jamais la   nation perdait son zèle pour le bien, cet esprit excellent qui la vivifie, ce   brillant caractère qu’il faut diriger, entretenir, et jamais changer, vos   ouvrages, Messieurs, réveilleront en effet ses sentiments vertueux, et c’est   ici le temple où se rallumeront les deux passions qui font les citoyens et   les grands hommes.

 

 

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