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Hédo
19 décembre 2006

La philosophie et la reproduction de l’ordre social

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La philosophie et la reproduction de l’ordre social *
            Quelques réflexions autour de l’expérience de l’enseignement de la philosophie en Haïti
               
            

            dimanche 19 février 2006

       
       
            

Extraits

Par James Darbouze [1]

Soumis à AlterPresse le 16 février 2006

(...) On connaît déjà les vertus subversives de la philosophie. On n’a de cesse de nous répéter cela. Le philosophe sous la posture du douteur, du questionneur, de celui qui doute, qui critique, qui remet tout en question et qui casse tout sur son passage. Et les anecdotes sur les figures emblématiques de la philosophie de Socrate à Foucault-Deleuze sont là innombrables pour illustrer cette posture. Donc je me garderai ici de vous ressasser de ces lieux communs. Mon propos de préférence va porter sur le caractère intégré de la philosophie, sur son petit côté collabo dans le dispositif de l’organisation sociale à partir d’une analyse de quelques pratiques d’enseignement. Autrement dit, je vais essayer de voir, en marge des déclarations pompeuses et fallacieuses sur le caractère émancipateur de cet enseignement, comment il participe du renforcement de la hiérarchie sociale, de voir comment il s’accommode de la logique de l’abrutissement, de voir comment, en ultime instance, loin de faciliter une sortie indemne de l’école des abrutisseurs, donc d’aider à l’émancipation intellectuelle, il participe de sa légitimation en nous installant dans la dichotomie supérieurs / inférieurs fondatrice et garante de l’ordre social.

L’ordre social : qu’est-ce que l’ordre social ? C’est l’organisation de la structure sociale selon la fiction de l’inégalité, fiction d’après laquelle il y a des gens inférieurs et des gens supérieurs ; des gens qui peuvent penser qui peuvent réfléchir et d’autres qui ne le peuvent pas. L’enjeu fondamental de cet ordre social, c’est la domination c’est-à -dire la gestion, le commandement des inférieurs par les supérieurs [selon la fausse loi naturelle de l’inégalité des intelligences], la reproduction intacte et inchangée des rapports de pouvoir à l’intérieur de la société. Alors que l’on nous vante les mérites de l’Ecole et de l’Education qui est censée, nous dit-on selon une certaine logique républicaine, faire de tous les hommes - de toutes les femmes des émancipé-es et des émancipateurs-trices, soit « de relever ceux qui se croient inférieurs en intelligence, de les sortir du marais où ils croupissent » ; on constate que la chose se passe de façon tout à fait autre. Elle fabrique des sous-lieutenants de l’ordre social. Ainsi, à cet ordre social, il y a un ordre scolaire correspondant qui repartit à l’intérieur de l’institution scolaire les individus entre intelligents (supérieurs) et en cancres [2] (inférieurs)... Si, comme le dit le philosophe Jacques Rancière « Toute institution est une explication en acte de la société, une mise en scène de l’inégalité [3] », il est clair qu’on ne saurait attendre de l’institution scolaire qu’elle produise des émancipé-es en s’attaquant à l’ordre même qui l’a créée. Il est par suite compréhensible que l’Ecole participe de « la vision abrutissante du monde » qui consiste à « faire croire en la réalité de l’inégalité, à s’imaginer qu’il y a de fait des supérieurs et des inférieurs et que les supérieurs dans la société son effectivement supérieurs et que la société serait en péril si l’idée se répandait, surtout dans les basses classes (le peuple), que cette supériorité est seulement de fiction convenue [4]. » Toutefois, ce qui pour nous fait problème, ce que nous voudrions comprendre, c’est comment la philosophie, dans la mesure où on nous la vante depuis toujours comme essentiellement remise en question des fixités et des idées reçues, à travers la question de son enseignement s’accommode de ce dispositif.

Si tant est que la philosophie, conformément au trois thèses du matérialisme philosophique [5], est du côté de l’émancipation et non de la domination, si tant est que son parti pris est celui de la liberté et non celui de l’enfermement ; on comprend tout à fait que la question de son enseignement revêt un caractère essentiel. C’est par son enseignement qu’elle est mise à l’épreuve, qu’elle est éprouvée. C’est dans l’expérience de son enseignement que la philosophie est sommée de prendre effectivement son parti, de se décliner. Toute expérience est une épreuve.

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